J’ai testé pour vous la flottaison

8 h 45. Boulevard de la Chapelle en plein cœur de Paris. Une rue animée et cosmopolite de Barbès, avec ses boutiques Tati à carreaux roses et blancs. Difficile à croire : dans ce quartier aux odeurs de frites et de sandwichs, se loge l’un des temples du “bien-être” tant vanté par les magazines nationaux.

Le centre Meïso, un lieu atypique de la capitale. Ici pas soins parfumés mais des cabines de flottaison, appelée également cabines d’isolation sensorielle. Dans quelques minutes, je serai plongée dans une eau saturée en sel de magnésium. L’eau ainsi chargée permet de flotter, comme en apesanteur. J’arrive devant une lourde porte en bois marron. Seule une petite plaque trahit la présence du centre. Puis derrière, la surprise. C’est une arcade japonaise, au fond d’une petite cour pavée, qui indique qu’ici se niche un havre de paix. C’est charmant. Entre deux plantes vertes, un chat roux se lèche les pattes tranquillement.

C’est Julien, un “maître flotteur” qui m’accueille avec douceur. Il me guide dans un espace commun, où des canapés agrémentés de coussins nous donnent envie de nous plonger avec paresse dans la lecture d’un des nombreux ouvrages en libre-service. Nous sommes trois flotteurs ce matin-là. Une femme trentenaire qui entame sa troisième expérience et un jeune homme d’une vingtaine d’années qui va vivre, comme moi, une grande première. L’habituée des lieux nous avoue s’être ennuyée lors de sa dernière séance. « Je ne comprends pas pourquoi. La première fois était passée très vite. La suivante, j’ai eu l’impression de flotter des heures », avoue-t-elle. Le jeune homme, adepte de la méditation, attend de vivre une expérience de paix intérieure. Moi, j’espère me détendre et chasser le stress.

« Je comprends avec effroi que je fais une crise de panique. »

Julien me propose de choisir entre quatre formules, avant de nous ouvrir l’une des quatre cabines. J’ai l’impression d’être au restaurant. Ça m’amuse. « Chacune des cabines possède une ambiance qui lui est propre », indique-t-il. J’opte pour une méditation guidée (avec la voix de Maïté), dans le noir et dans une “cabine” minérale dont la taille s’apparente à celle d’une chambre. Il est conseillé de se plonger dans l’eau salée nue mais les flotteurs peuvent, s’ils le souhaitent, mettre un maillot de bain. Une proposition qui me semble absurde. La flottaison est en effet une expérience solitaire. Et pour cause, nous explique Maïté « la flottaison va permettre d’accéder de manière douce à un état de méditation profond. » Exit donc un partenaire qui parasiterait cette introspection. Après une douche, je plonge mon corps dans le bassin. La porte de ma cabine, est fermée, c’est joli. La pièce est décorée avec des roches gravées, qui me rappellent celles du cairn de Gavrinis en Bretagne. Je découvre les sensations de la flottaison. Il m’est difficile de laisser ma tête flotter. Il faut lâcher-prise. Après quelques efforts j’y arrive et c’est assez surprenant. Je flotte sans effort ! Le bain est chaud – à l’exacte température du corps – c’est agréable. Je fais des mouvements pour tester mes sensations. Je trouve ça esthétique. L’eau, grâce à de la lumière diffusée à l’intérieur, prend une teinte futuriste, irréelle. J’aime beaucoup regarder mes mains troubler la surface. La lumière s’éteint. La voix de Maïté commence à résonner dans l’eau, des amplis étant fixés dans les parois du bassin. J’entends clairement les consignes de méditation, malgré les bouchons d’oreille que j’ai enfoncé pour éviter que le sel ne pénètre dans mes orifices. Bizarrement au lieu de me sentir détendue, je sens mon cœur battre… fort, très fort. Les coups résonnent et s’accélèrent. Soudain, je n’entends plus la voix rassurante de la sophrologue. Seuls ces battements crèvent le silence. Je ne comprends pas de suite. J’essaye de calmer mon rythme cardiaque mais je sens que j’ai dû mal à respirer. J’ai l’impression d’étouffer. Je comprends avec effroi que je fais une crise de panique. Mon cerveau part “en vrille”. Je ne peux plus me calmer. L’air me donne l’impression d’être saturée en vapeur comme dans un hammam. Je comprends alors qu’il faut que je sorte, avant que ça ne dégénère. Je me précipite hors bassin, bousculant tout dans le noir et tâtonnant avec frénésie les murs à la recherche du fameux bouton d’aide montré par Julien avant le début de la séance. J’appuie dessus mais j’ai une furieuse envie de sortir nue dans le hall. Impossible : ici seules les cabines permettent d’être en habit de peau. Si le bain se fait nu, le centre Méiso n’est malheureusement pas naturiste. J’entends enfin Julien descendre les marches en bois qui grincent sous ses pas, les cabines se situant en contrebas de l’espace créatif. J’implore. « Pouvez-vous allumer la lumière s’il vous plaît ? », j’arrive à articuler. Julien exécute la demande. Il est là pour ça. La petite “piscine” s’illumine d’un beau néon vert. Tout va bien. La situation est ridicule. La pièce est grande. C’est largement respirable. Je regrette soudainement d’avoir opté pour le noir. J’ignorai ma claustrophobie. Maintenant, je suis fixée.

« Ça me pique les yeux et l’entrejambe »

Je retourne dans le bassin mais cette expérience stressante plane encore en moi. Je tente de me laisser guider par le programme de méditation qui m’a été proposé. Adepte du yoga, j’arrive à faire le vide et laisser mes idées tournoyer sans s’accrocher à mon esprit. Bizarrement, en faisant cela je sens comme un souffle d’air frais me caresser les narines, me permettant de respirer à plein poumon. À tel point que je vérifie plusieurs fois que je n’ai pas laissé la porte ouverte. Mais non. Par contre, à chaque déconcentration, la panique reprend. J’étouffe. Je suffoque. Je panique. L’air se raréfie et disparaît. Je dois me raisonner pour calmer mon cœur qui s’emballe. Par malheur, dans ces moments irraisonnés, il m’arrive de toucher mes yeux. Ça me pique horriblement. J’essaye alors vainement d’attraper le spray d’eau clair afin de m’asperger mes yeux brûlant, en vain. Je ne le trouve nul part. Dans mes instants de calme au contraire, j’apprécie ma peau toute glissante sous l’effet du magnésium, l’oxygène qui rentre par mes narines et m’alimente. En prenant conscience que ma flottaison ne ressemblera pas à celle que j’avais idéalisée, je décide de tester mes sensations : mon expérience d’isolation sensorielle devient une expérience de test sensoriel. Je me berce en me projetant doucement d’une paroi à une autre. J’en ai le mal de mer. Je plie et déplie mes membres, caresse mon ventre. J’essaye de contrôler mon esprit qui a s’en cesse envie de s’engouffrer dans une peur profonde, viscérale : celle de finir noyée. À un moment donné mon corps me signifie que ces alternances de calme puis de stress le déroute : bien que la chaleur soit agréable, la chair de poule me couvre entièrement le corps de la tête aux pieds : du jamais vu. Même mes oreilles sont couvertes des picots caractéristiques. C’est amusant et étrange. Dois-je m’en inquiéter ? Le bassin se met à clignoter, me signifiant que ma séance touche à sa fin. Je n’attends pas plus longtemps pour m’extraire de l’eau. L’épreuve doit s’achever et j’en suis contente. Ça me pique fortement dans l’entrejambe et dans les yeux. En sortant j’aperçois la bouteille d’eau claire que j’ai tant cherché, renversée sur le sol, vestige de mon affolement du début. Je passe un bon moment sous la douche et me shampouine les cheveux, devenus bizarrement rêches. Il ne sont pas beaux comme décrit dans un magazine. Au contraire, je dois les laver plusieurs fois et malgré cela, leur aspect reste vraiment pas terrible.

 

En sortant, je croise la femme flotteuse expérimentée. Elle semble ravie et détendue. Moi, je me sens angoissée. Mes multiples crises de panique ont laissé des marques. Je suis déçue. Ma voisine trentenaire semble avoir fait un voyage calme et apaisant. Le mien fût une lutte perpétuelle contre moi-même. Maïté Breger me rassure : « Ce n’est pas un soin de bien-être. Toutes les flottaisons sont différentes. Parfois on s’ennuie. Moi-même j’ai déjà éprouvé des flottaisons que je n’ai pas aimées. Cette expérience a un but d’introspection. Il faut se demander pourquoi nous avons été dans tel ou tel état », clarifie-t-elle. Je reste quelques instants en buvant une tisane. J’en profite pour me remettre les idées en place. Je me sens vidée. Je culpabilise : pourquoi mon expérience fut-elle terrifiante, tandis que celle des flotteurs, dont les témoignages trainent sur le web, paraissent extraordinaires ? « Il est arrivé à une flotteuse d’écourter la séance car cela réveillait trop de chose en elle », me confie mon maître flotteur. Le salon commun, à l’ambiance cocooning, m’aide à m’apaiser. Je pourrai quasiment rester ici, m’allonger et dormir. D’autres flotteurs arrivent déjà. L’un d’entre eux questionne : « Et si l’on est claustrophobe, il se passe quoi ? ». Je lui dit ?

Extrait du dossier Les centres de flottaison ou l’art de prendre du temps pour s’écouter, publié dans le numéro 30 de La Vie au Soleil en décembre 2018.

Pour en savoir plus, regardez la vidéo ici.
Dossier rédigé par Leslie Beau.

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